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  LES DANGERS DU SIONISME 

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UNE TERRE SANS PEUPLE ??? LE GRAND MENSONGE..

LE CONCEPT DE "TRANSFERT"
 
 
DANS LA DOCTRINE ET DANS LA PRATIQUE 
 
DU MOUVEMENT SIONISTE
 
 
 
 
LA "TERRE SANS PEUPLE" ET AUTRES MYTHES FONDATEURS D’ISRAËL 
 
Farouk MARDAM-BEY 
Elias SANBAR 
 
Extrait du livre : LE DROIT AU RETOUR 
 
Le "retour" à la terre, la colonisation et la création d’un Etat ont été les thèmes récurrents de la politique sioniste. La construction d’un Etat juif, la colonisation à outrance, les ambitions territoriales ont été en permanence associées à l’exploitation des mythes, légendes et épopées bibliques. Pour les sionistes, le concept d’Eretz Yisrael, toujours très vague lorsqu’il s’agissait d’en délimiter exactement les frontières, signifiait clairement "propriété", et les récits bibliques de la Genèse et de l’Exode furent le point de départ d’une tradition liant les tribus hébraïques et israélites à la terre de Canaan, la Palestine actuelle. 
 
Bien que faisant l’objet d’un long débat controversé entre historiens et archéologues1, bien que rejetée de façon catégorique parfois par certains tel l’archéologue israélien Zeev Hertzog, l’idée selon laquelle le texte de l’Ancien Testament donne aux juifs une légitimité morale à la création de l’Etat d’Israël et à sa politique vis-à-vis des Palestiniens depuis 1948 demeure très présente, tant dans les milieux juifs sionistes qu’au sein des cercles d’études bibliques universitaires et théologiques chrétiens3. Le lien entre les conquêtes territoriales israéliennes et l’Ancien Testament fut également repris dans les discours de David Ben Gourion, premier Premier ministre — laïque — d’Israël, qui prétendait que la Bible est "le titre de propriété sacro-saint des juifs sur la Palestine […] avec une ancienneté de trois mille cinq cents ans4". 
 
Or et bien que le terme Eretz Yisrael soit vaguement employé dans les textes de l’Ancien Testament (voir I Samuel, XIII, 19) ; qu’il n’existe aucune délimitation historique ou même religieuse de l’étendue de la "terre d’Israël" et de ses frontières, cette dernière a été chargée dans la période contemporaine de connotations d’une grande portée historique, géopolitique et idéologique, tant dans le discours occidental que dans les travaux universitaires israéliens5, la reconstitution du passé par les auteurs sionistes reflétant surtout leurs propres opinions politiques et religieuses. 
 
Les auteurs sionistes et les spécialistes de la Bible ont tous fondé les revendications historiques du sionisme moderne concernant Eretz Yisrael sur l’histoire biblique des douze tribus qui avaient conquis le pays et vécu là pendant toute la période prémonarchique des Israélites ; d’autres revendications sionistes se réfèrent aux royaumes de David ou de Salomon, aux royaumes postérieurs du Sud et du Nord de Judée et d’Israël, à la première période du second Temple, à l’ère des Asmonéens, ou au royaume d’Hérode6. Poursuivant sur la voie tracée par leurs prédécesseurs aux XIXe et XXe siècles, les chercheurs israéliens ont attribué à la région Palestine et à ses environs une quantité de dénominations différentes : "Eretz Yisrael", "la terre biblique d’Israël", "le grand Israël", "la terre d’Israël tout entier", "la Judée et la Samarie, cœur de la nation israélite", "la Terre promise", "la terre de la Bible", "la Terre sainte". 
 
Pour un lecteur occasionnel de la plupart des ouvrages de géographie historique ou d’histoire de la région, ces termes peuvent sembler interchangeables, voire neutres. Pourtant, ces concepts et cartes imaginaires ont un grand pouvoir. Benedict Anderson a démontré, dans Imagined Communities, comment une carte apparemment neutre avait joué un rôle majeur dans la conceptualisation et le contrôle des territoires coloniaux européens7. Plus récemment, dans son ouvrage de référence, The Invention of Ancient Israel : The Silencing of Palestinian History, Keith Whitelam a étudié les implications politiques de la terminologie biblique utilisée pour désigner ce territoire, et a montré de quelle manière le nom donné à la terre sous-entendait son contrôle et sa possession et comment les termes Eretz Yisrael et Palestine ont été tout à la fois chargés et dépourvus de sens, tant par les érudits israéliens qu’occidentaux. Bien que les spécialistes occidentaux de la Bible aient toujours utilisé le terme de "Palestine", dit Whitelam, ce mot a été dépourvu de toute espèce de sens véritable dans la quête de l’ancienne "terre d’Israël". La Palestine ne signifie rien en tant que telle, n’a pas d’histoire spécifique, mais sert d’arrière-plan à l’histoire d’Israël. L’absence d’histoire est du même ordre que l’absence d’habitants dans le pays. L’histoire de la Palestine et de ses habitants en général est occultée et passée sous silence au bénéfice de l’ancien Israël et dans la quête de ce dernier8. 
 
En effet, beaucoup de spécialistes de la Bible, en Israël et en Occident, présument que les récits bibliques qui décrivent le passé le relatent, en fait, fidèlement, et que l’histoire ancienne mais aussi contemporaine d’Israël a été déterminée par le cadre géographique de la "terre d’Israël". Ainsi lorsqu’ils parlent de l’histoire d’Israël, beaucoup d’érudits et de spécialistes israéliens commencent par un paragraphe intitulé "la terre d’Israël" : quasiment "aride, désolée et vide", attendant d’être reverdie et peuplée par Israël, cette terre serait propriété de plein droit des juifs. 
 
Le mythe de la "terre sans peuple" n’est pas seulement un célèbre slogan utilisé dès le début par la propagande sioniste. Il se retrouve dans la quasi-totalité de l’historiographie sioniste israélienne concernant la construction de la nation. Quelques semaines après la guerre de 1967, un des romanciers les plus célèbres d’Israël, Amos Oz, écrivit un article dans le journal Davar, dans lequel il évoquait la forte tendance des juifs israéliens à voir la Palestine comme un pays vide d’habitants : "Lorsque j’étais enfant, quelques-uns de mes professeurs me dirent qu’après la destruction de notre Temple et après que nous avons été chassés de notre pays, des étrangers s’étaient accaparé notre patrimoine et l’avaient dilapidé. Les Arabes du désert avaient dévasté le pays et laissé les terrasses sur les flancs des collines tomber en ruine. Leurs troupeaux avaient détruit nos magnifiques forêts. Lorsque les premiers pionniers arrivèrent pour reconstruire le pays et le sortir de sa désolation, ils trouvèrent une terre laissée à l’abandon. Et aussi, c’est vrai, quelques nomades arriérés et frustres qui y erraient. 
 
Quelques-uns de nos premiers arrivants pensaient que les Arabes devraient, de droit, retourner dans le désert et rendre le pays à ses propriétaires, et que, s’ils refusaient de le faire, ils (les sionistes) devraient "se lever et hériter", comme ceux qui avaient pris Canaan d’assaut : "Une mélodie de sang et de feu […] escalade la montagne, écrase la plaine. Tout ce que vous voyez, prenez… et conquérez la terre à la force de vos bras9" […] (Tchenichovsky, I have a Tune)." 
 
Oz évoquait également la chanson de Na‘omi Shemer, Jérusalem est d’or, représentative de cette forte tendance, chez les juifs israéliens, à ne voir la Palestine que comme un pays sans ses habitants arabes. La chanson, considérée comme "l’hymne national de la guerre des Six Jours10", avait été commandée par la municipalité de la Jérusalem juive. Composée à l’occasion d’un festival de musique qui avait eu lieu à la veille de la guerre11, elle était devenue un tube national après que les Israéliens eurent pris aux Arabes Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza. C’est la chanson la plus populaire jamais produite en Israël et, en 1967, elle submergea le pays en un rien de temps, exprimant ouvertement les aspirations nationales israéliennes à la suite des nouvelles conquêtes. Na‘omi Shemer reçut, elle, le prix d’Israël pour sa contribution exceptionnelle à la chanson israélienne. En voici un extrait : 
 
Jérusalem est d’or 
 
Comment les citernes se sont-elles asséchées ? Le marché est désert, 
 
Et personne ne se rend sur le mont du Temple dans la vieille ville, 
 
Et les vents gémissent dans la grotte creusée dans le rocher, 
 
Et personne ne descend vers la mer Morte, en route pour Jéricho 
 
[…] 
 
Jérusalem est d’or 
 
Nous sommes revenus aux citernes, au marché et sur la place. 
 
Un shofar12 sonne sur le mont du Temple dans la vieille ville. 
 
Et dans les grottes creusées dans les rochers des milliers de soleils brillent, 
 
Nous descendrons à nouveau vers la mer Morte, en route pour Jéricho13. 
 
Dans les années quatre-vingt-dix, les dirigeants et porte-parole israéliens perpétuaient encore le mythe d’une "terre sous-peuplée, désolée et inhospitalière", attendant d’être colonisée, aménagée et fertilisée grâce au dur labeur des juifs et des pionniers sionistes. En octobre 1991, le Premier ministre Yitzhak Shamir, dans son discours à la conférence pour la paix de Madrid, cita quelques passages du Voyage des innocents, de Mark Twain. (Twain s’était rendu en Palestine en 1867 et sa description de la population était soit insultante, soit humoristiquement péjorative.) Shamir, qui considérait la conférence de Madrid comme un pur cérémonial et l’utilisa comme tribune pour sa propagande, entendait rappeler que la Palestine était un territoire vide, une sorte de zone de non-civilisation dont "personne ne voulait" ; "Un pays de désolation, de silices et de cendres, où un silence lugubre régnait, où même l’imagination ne pouvait ramener l’éclat de la vie14." Le mythe du pays "en ruine/ désolé/sous-peuplé" fut utilisé par Shamir et son successeur Benyamin Netanyahou, premier ministre du Likoud, pour justifier la colonisation de la Palestine et le peu de cas qui fut fait de ses habitants d’origine15, cette continuité mythique entre histoires ancienne et contemporaine sous-entendant que cette terre difficile, dure à cultiver, ne pouvait trouver sa rédemption et donner des fruits que grâce au travail extraordinaire des immigrants juifs, des pionniers sionistes et du génie d’Israël. Il importait peu qu’en réalité la majeure partie de la Palestine, à l’exception du Néguev, ne fût pas un désert mais une terre fertile, cultivée et productive16. 
 
Pour le colon juif qui venait apporter la rédemption à la terre, les habitants de cette dernière étaient naturellement "invisibles", dépouillés de toute réalité, humaine ou nationale et placés dans une catégorie de non-entité marginale. En effet, l’historiographie sioniste regorge de preuves attestant que, depuis le tout début de la colonisation juive en Palestine, l’attitude de la plupart des groupes sionistes envers la population arabe d’origine allait du mélange d’indifférence et de supériorité condescendante au déni pur et simple de leurs droits nationaux… à leur expulsion vers les pays voisins. Des personnalités de poids, comme Israel Zangwill, un célèbre écrivain juif anglais, l’un des bras droits de Theodor Herzl et l’un des propagandistes de l’idée du transfert, s’étaient employées sans relâche à répandre le slogan selon lequel la Palestine était "une terre sans peuple pour un peuple sans terre". Ce concept est attribué à Herzl en personne par l’Encyclopædia judaica, dans laquelle le responsable sioniste américain Arthur Hertzberg écrivait que pour Herzl le "mouvement sioniste qu’il avait créé avait un but : le déplacement d’un "peuple sans terre" vers une "terre sans peuple17"". Le même mythe de la "terre sans peuple" fut utilisé en 1914 par Haïm Weizmann, qui devint ensuite le président du Congrès sioniste mondial puis le premier président de l’Etat d’Israël : "A ses débuts, le sionisme était conçu par ses pionniers comme un mouvement totalement dépendant de facteurs matériels ; il existe un pays qui se trouve s’appeler la Palestine, un pays sans peuple, et, d’un autre côté, il existe le peuple juif, et il n’a pas de terre. De quoi d’autre avons-nous besoin sinon de mettre le bijou dans l’écrin, d’unir ce peuple et cette terre ? Ceux qui possèdent cette terre [sic] doivent, auparavant, être persuadés et convaincus que ce mariage est une bonne chose, non seulement pour le peuple [juif] et pour le pays, mais aussi pour eux18." 
 
Ni Zangwill ni Weizmann ne prenaient ces dernières considérations démographiques à la lettre. Ils ne disaient pas qu’il n’y avait pas de peuple en Palestine, mais, selon les critères de la suprématie blanche européenne en cours à l’époque, qu’il n’y avait pas de peuple qui méritât qu’on s’en soucie. A ce propos, un commentaire de Weizmann à Arthur Ruppin, chef du Service de la colonisation de l’Agence juive, est particulièrement révélateur. Lorsque Ruppin lui demanda ce qu’il ferait des Palestiniens et comment il (Weizmann) avait obtenu la déclaration Balfour en 1917, Weizmann répondit : "Les Britanniques nous ont répondu qu’il y a là quelques centaines de milliers de nègres [kushim, en hébreu], et qu’ils ne comptent pas19." En 1920, trois ans après que le mouvement sioniste eut obtenu la déclaration Balfour des Britanniques, Zangwill en personne donna sa propre définition du mythe ("une terre sans peuple") en des termes admirablement clairs : "Si Lord Shaftesbury n’était pas littéralement exact lorsqu’il décrivait la Palestine comme un pays sans peuple, il avait, au fond, tout à fait raison, puisqu’il n’y a pas là-bas un peuple arabe vivant en osmose avec le pays, exploitant ses ressources et le marquant de son empreinte ; il y a, au mieux, un campement arabe20." 
 
Dans cette déclaration, Zangwill laissait entendre qu’il n’était pas l’auteur du mythe. Mais que c’était Lord Shaftesbury (1801-1885 ; Anthony Ashley Cooper, avant de devenir le septième comte de Shaftesbury en 1851) qui était l’auteur de la formule. Ainsi, le lord britannique protestant Shaftesbury avait épousé la thèse sioniste près d’un demi-siècle avant que le mouvement sioniste ne soit fondé par Herzl… En réalité, Shaftesbury avait formulé la fameuse phrase en 1853, pendant la guerre de Crimée, alors que son intérêt pro-sioniste pour la "restitution de la Palestine aux juifs" coïncidait avec son vœu de hâter la dissolution de l’Empire ottoman21. Bien qu’il ne fût donc pas l’initiateur du mythe de la "terre sans peuple", Zangwill en a été son plus efficace propagandiste. Ses déclarations et discours, comme ceux de Weizmann et autres personnalités sionistes incarnant la suprématie européenne, introduisirent dans l’esprit des sionistes la notion raciste de territoire vide — pas nécessairement vide d’habitants, mais plutôt vide de civilisation — qui justifiait la colonisation sioniste, le mépris de la population locale et la perspective de son déplacement. 
 
Ce mythe de "territoire vide" demeure répandu dans le système scolaire israélien et solidement perpétué par la littérature enfantine. Dans une publication pour enfants, on trouve ceci : "Joseph et ses compagnons traversèrent le pays [la Palestine] à pied, et arrivèrent en Galilée. Ils escaladèrent les montagnes, de belles montagnes, mais désertes, où personne n’habitait… Joseph dit : "Nous voulons installer notre kibboutz et conquérir cette étendue vide. Nous appellerons cet endroit Tel Haï [colline vivante] […]. La terre est vide ; ses enfants l’ont désertée [faisant référence, bien sûr, aux juifs]. Ils se sont dispersés et ne s’en occupent plus. Personne ne protège ou ne prend soin de la terre maintenant22."" 
 
Dans le même esprit, le plus célèbre des humoristes israéliens, Dan Ben Amotz, remarquait que "Les Arabes n’existent pas dans nos livres [pour enfants]. Ce qui correspond apparemment aux principes judéo-sionisto-socialistes que l’on nous a inculqués. "Un-peuple-sans-terre-revient-dans-une-terre-sans-peuple23."" Ce genre d’images et de descriptions de "pays sous-peuplé et à l’abandon" développèrent chez ceux qui les ont véhiculées un sionisme simpliste et évident. Ces mythes ne justifiaient pas seulement la colonisation sioniste, mais aidaient les juifs israéliens à n’éprouver aucun remords pour avoir dépossédé les Palestiniens avant, pendant et après 1948 : si "la terre était vide", alors aucun sioniste n’avait mal agi. 
 
Dans son dernier livre The Founding Myths of Israel (1998), Zeev Sternhell aborde l’étude de ces parallèles en se concentrant sur l’idéologie "nationaliste et socialiste" du parti travailliste — idéologie dominante dans la communauté juive en Palestine, puis en Israël, entre les années trente et les années soixante-dix — et en relevant les parallèles entre cette idéologie et les nationalismes fondamentaux "radicaux, tribaux et populistes" d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, qui rejetaient à la fois le marxisme et les formes libérales d’universalisme, ainsi que les droits individuels et la lutte des classes. Les travaillistes sionistes avaient plutôt comme priorité la réalisation de leur projet nationaliste : l’établissement en Palestine d’un Etat juif souverain. Dans ce projet, le socialisme était simplement utilisé pour son potentiel de "mythe mobilisateur". Sternhell voit dans ce projet nationaliste un genre de nationalisme tribal valorisant la religion et l’ethnicité, promouvant le culte et les mythes du passé, le renouveau de langues soi-disant mortes, un besoin désespéré de renouveau culturel et une lutte sans merci pour l’indépendance politique et l’expansionnisme territorial. 
 
Les ressemblances entre les citoyens de l’Europe centrale et orientale et les sionistes travaillistes ne s’arrêtaient pas là selon l’auteur dans la mesure où ces derniers rejetaient l’individualisme libéral et se méfiaient de la démocratie bourgeoise. Sternhell voit dans cette étroitesse d’esprit du sionisme travailliste l’origine des problèmes actuels des Israéliens : l’absence de Constitution, une conception inadaptée des droits universels de l’être humain, l’échec de la séparation entre le religieux et l’Etat, etc. En contestant les prétentions socialistes des travaillistes sionistes, Sternhell avance l’idée que les sionistes socialistes et les révisionnistes de l’aile droite, de Vladimir Jabotinsky à Benyamin Netanyahou en passant par Menahem Begin et Yitzhak Shamir, étaient tous des sortes de nationalistes intégraux. Il en déduit que les travaillistes sionistes ont poursuivi leur projet de création d’un Etat, mais sans aucune perspective sociale ou visée idéologique à part celle d’un nationalisme basé sur "les droits historiques sur toute la terre d’Israël". Ainsi, le modèle établi dans la période qui a précédé la création de l’Etat n’aurait pas évolué, et les dirigeants travaillistes auront été incapables de gérer les conséquences de la guerre de 1967. Ils ont construit de nouvelles colonies, ont continué l’expansion territoriale et testé la technique sioniste du fait accompli. Incapables d’accepter le nationalisme palestinien avant les accords d’Oslo de 1993, les travaillistes se sont inévitablement embourbés dans le problème des territoires occupés24.  
 
Dans mes trois livres : Expulsion of the Palestinians : The Concept of "Transfer" in Zionist Political Thought, 1882-1948 (Washington DC, 1992) ; A Land Without a People : Israel, Transfer and the Palestinians, 1949-1996 (Londres, 1997) ; Imperial Israel and the Palestinians : The Politics of Expansion, 1967-2000 (Londres, 2000), j’ai largement puisé dans des documents d’archives israéliens. J’y ai traité de l’évolution du thème du "transfert de population" — un euphémisme pour qualifier le déplacement organisé de la population arabe de Palestine vers des pays voisins ou lointains —, un concept qui a été largement maintenu en Israël après 1967. J’ai aussi montré que ce concept — gentiment décrit par ses instigateurs comme un "échange de population", un "retour des Arabes en Arabie", une "émigration, déplacement et… réintégration des Palestiniens dans les pays arabes", etc. — était profondément enraciné dans le sionisme, ancré dans la conscience sioniste selon laquelle "la terre d’Israël est un droit dont les juifs héritent à la naissance", qu’elle appartient totalement et exclusivement au peuple juif, et que, par conséquent, les Arabes palestiniens sont des "étrangers" qui devraient soit accepter la souveraineté des juifs soit s’en aller. L’ouvrage Expulsion of the Palestinians démontre également que le concept de "transfert" ("volontaire", "admis" ou "imposé") était déjà, entre 1936 et 1948, considéré tant par le principal courant de pensée sioniste que par le Yishouv (la communauté juive établie en Palestine jusqu’en 1948) comme la solution aux problèmes du territoire/pays sioniste, de la "démographie arabe" et des difficultés politiques. 
 
Bien que le désir de "résoudre" le "problème arabe" par un transfert ait été constant chez les chefs sionistes jusqu’en 1948, les différentes modalités de ce transfert changèrent au fil des ans et en fonction des événements. A partir du milieu des années trente, les commissions de transfert et les hauts fonctionnaires du Yishouv élaborèrent plusieurs projets spécifiques, qui impliquaient pour la plupart la Transjordanie, la Syrie et l’Irak25. Enfin, Expulsion of the Palestinians souligne que cette idée fut défendue par les chefs sionistes les plus importants, notamment David Ben Gourion, Avraham Granovsky, Theodor Herzl, Vladimir Jabotinsky, Berl Katznelson, Leo Motzkin, Arthur Ruppin, Moshe Sharett, Nahman Syrkin, Menahem Ussishkin, Yosef Weitz, Haïm Weizmann et Israel Zangwill. 
 
Les arguments défendant l’idée de transfert dans les années trente et quarante servirent ultérieurement à le justifier, particulièrement sur le plan des propositions et des projets après 1948, puis la conquête de la Cisjordanie et de Gaza en 1967. Après 1967, les sionistes expansionnistes et les défenseurs du transfert continuèrent à affirmer, souvent publiquement, que ces propositions n’avaient rien d’"immoral" ; qu’au début du XXe siècle les transferts de Grecs et de Turcs, d’Indiens et de Pakistanais, d’Allemands et autres Européens constituaient des "précédents" qui pouvaient s’appliquer aux Arabes palestiniens ; que déraciner et transférer les Palestiniens dans les pays arabes ne représentait qu’un simple "déménagement d’un quartier à un autre" ; que les Palestiniens ne devraient pas avoir de mal à adopter la Jordanie, la Syrie ou l’Irak comme patries ; que les Arabes palestiniens n’avaient guère d’attachement affectif et de liens réels avec la terre de Palestine et qu’ils seraient tout aussi heureux hors de "la terre d’Israël" ; que les Arabes palestiniens étaient en marge de la nation arabe et que leurs problèmes pourraient être résolus par une politique "bienveillante" et "humanitaire" qui "aiderait les gens à partir". De telles affirmations étaient essentielles aux sionistes pour légitimer leur déni du droit à l’autodétermination des Arabes palestiniens en Palestine avant 1948 ou dans n’importe quel autre lieu de Palestine (la Cisjordanie et Gaza) après 1967. Les partisans du transfert affirmaient que les Palestiniens n’étaient pas un peuple en soi, mais simplement des "Arabes", une population arabe ou "communauté arabe", qui résidait fortuitement sur la terre d’Israël. 
 
SOURCES : Lien vers http://www.actes-sud.fr/fichud.asp?codud=F78182>

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Modifié en dernier lieu le 21.10.2004
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