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  LES DANGERS DU SIONISME 

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UN FILM QUI EN DIT LONG...

 
 
A l'affiche. Film-fleuve, «la Porte du soleil» de l'Egyptien Yousry Nasrallah retrace dans tous ses soubresauts l'odyssée du peuple déraciné, de 1948 à nos jours. 
 
La Palestine en mille et une vies 
 
 
l'heure où sonnent les quatre ans de la seconde Intifada, la diffusion sur Arte (en VF) et la sortie en salles (en VO, ouf !) de la Porte du soleil de Yousry Nasrallah se présentent à nous dans toute leur nécessité (1). Hors les clichés des journaux télé, la pénurie d'images sur les Palestiniens ne sera sans doute jamais comblée, mais un travail de rattrapage est désormais entamé. Il y a eu la parution en France du livre des photos d'Elias Sanbar, les Palestiniens. La photographie d'une terre et de son peuple de 1839 à nos jours (Hazan) et, désormais, ce film passionnant signé par un cinéaste chrétien égyptien qui a vécu au Liban de 1978 à 1982.  
 
Kaléidoscopique 
Adapté de la fresque éponyme du romancier libanais Elias Khoury (lequel cosigne le scénario), ce film-fleuve s'articule en deux parties : d'abord, la geste de l'exode forcé des Palestiniens (le Départ), puis les dissensions suicidaires des fedayins menant à l'impasse actuelle (le Retour). Toute l'histoire est passée au filtre tourmenté d'un combattant sur la touche, le docteur Khalil, au chevet de Younès, héros de la guerre de 1948, plongé dans le coma.  
 
D'emblée, dans cet hôpital de Chatila aux chambres vétustes, la métaphore du corps palestinien dans tous ses états de sensualité éruptive et de mort lente, d'hystérie et d'abattement, colle au trajet de l'histoire d'une nation encore à (re)fonder. Le film de Nasrallah ne choisit par une voie hagiographique ou héroïque pour raconter le sort de ces déracinés, mais propose une vision kaléidoscopique d'un peuple en perdition, déclinant tous les affects, entre amertume paranoïaque et divisions entropiques, traversant des devenirs pluriels, au coeur de ce que Khoury désigne comme «le labyrinthe qui se nomme Palestine». 
 
Exil panique 
Le Départ se situe dans un village de paysans pauvres en mai 1948. Les colons juifs attaquent pour vider les lieux qu'ils viennent de racheter ou de prendre à l'occupant anglais. La nuit résonne des menaces : «Partez ou vous mourrez», «zone interdite aux Arabes». Dans les campagnes, les fuyards sont tirés comme des lapins. Le parcours du couple de Younès et de Nahila sert de fil rouge à l'évocation d'un exil panique de populations qui n'ont rien vu venir et qui, d'un village à l'autre, ont peu de ressources pour résister. C'est aussi le déclencheur d'une mythologie qui n'existait pas avant (la Palestine constitutive avec cette phrase parfaite : «On n'a pas aimé la Palestine avant de la perdre») et, plus tard, une fois l'Etat d'Israël fondé, reconnu, d'un horizon sans cesse repoussé (cet éternel come-back des réfugiés). 
 
Dans la deuxième partie (le Retour, justement), qui déplace le cadre vers le Liban et les camps de Sabra et Chatila, entre l'invasion israélienne en 1982 et les accords d'Oslo de 1994, le film se concentre sur un autre couple, des amants, Khalil et Chams. Le style en est bouleversé : à la reconstitution chahinesque en costumes, baigné du climat des Mille et Une Nuits, succède un collage alerte et hétérogène brassant vidéo, images d'archives, théâtre brechtien et coup de chaud érotico-martial à la Guyotat. 
 
Le récit n'est engendré que par l'effervescence, tour à tour clairvoyante et trompeuse, de la mémoire. Le film, dans sa volute autoréflexive, finit par ressembler à un rêve éveillé, à une fantasmagorie, au sens où Barthes a pu l'entendre, commentant le corpus marxiste comme un «corps contemporain philosophique du présent» qui ne serait pas son contemporain historique, «contemporain de ses langages, de ses utopies, de ses systèmes (c'est-à- dire de ses fictions), bref, de sa mythologie ou de sa philosophie, mais non de son histoire dont il n'habite que le reflet dansant» (2). 
 
Guerres intestines 
Si le film fait un sort à l'idée d'une population palestinienne ayant quitté le pays en douceur (version longtemps soutenue par une certaine historiographie israélienne), il se coltine, et plutôt deux fois qu'une, les atermoiements d'un militantisme palestinien qui apparaît incroyablement nébuleux et clanique. En particulier quand éclatent les guerres intestines entre l'OLP et le Hamas et que l'image du guérillero rouge glisse vers celle du jihadiste vert. Par ailleurs, on comprend mieux à quel point la cause palestinienne est devenue une sorte de proie érotique pour tout et n'importe quoi, fétiche, maîtresse mais aussi putain, passant entre toutes les mains, rarement pures, des multiples revendications arabes. «Tout le monde aime la cause palestinienne mais tout le monde déteste les Palestiniens», entend-on dans la bouche d'un des personnages. Les rejets libanais et syrien, assortis de scènes de torture fratricides, amplifie la nakba (la catastrophe) initiale et relance infiniment un destin de paria et une pulsion d'échecs glorifiants, telle cette sortie de combattants défaits d'Arafat sous les vivats de la foule libanaise. 
 
Le public occidental, pour qui le conflit israélo-palestinien n'est plus qu'une litanie quotidienne d'opérations commandos et de vengeances cycliques, recevra le film comme un contre-champ humanisé de la situation. On peut citer le politologue orientaliste Bernard Lewis, écrivant dès 1975 que les Palestiniens sont «des gens réels avec un problème réel dont la solution se fait trop attendre». Trente ans après, le tableau n'est guère réjouissant et le film, tout en tissant une parole constamment parabolique, ne dit pas autre chose.  
 
On allait oublier, détail d'importance, la «Bab el-Cham» du titre : la porte du soleil est une grotte, refuge hors du monde, éden pour rendez-vous amoureux. Ou alors tombeau ?  
 
(1) Sur Arte, demain et vendredi à 20 h 45, puis en sortie nationale en salles samedi.  
(2) Roland Barthes par Roland Barthes, Seuil, page 62. 
 
Sources : Lien vers http://www.liberation.fr/page.php?Article=243794>
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Modifié en dernier lieu le 16.12.2004
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